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mon bonheur ce que tant d’autres sacrifiaient à la vanité.

Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaître, je revins à la ville avec mes grands projets ; je ne m’attendais pas au premier obstacle que j’y rencontrai.

Cette longue solitude, cette austère retraite, avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables : ils se tenaient à l’écart, & me laissaient livrée à une foule d’ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L’embarras n’était pas de les refuser ; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, & je passais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m’étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns & éloigner les autres, d’afficher quelques inconséquences, & d’employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n’étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire, & mesurai avec prudence les doses de mon étourderie.

Dès que j’eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas & fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes, qui, dans l’impuissance d’avoir des prétentions à l’agrément, se rejettent sur celles du mérite & de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n’avais espéré. Ces reconnaissantes duègnes s’établirent mes apolo-