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donner mon veuvage, & je me promis bien d’en profiter.

Ma mère comptait que j’entrerais au couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l’un & l’autre parti ; & tout ce que j’accordai à la décence, fut de retourner dans cette même campagne, où il me restait bien encore quelques observations à faire.

Je les fortifiai par le secours de la lecture ; mais ne croyez pas qu’elle fût toute du genre que vous supposez. J’étudiai nos mœurs dans les romans ; nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous, & je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser, & de ce qu’il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution ; j’espérai les vaincre, & j’en méditai les moyens.

Je commençais à m’ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tête active ; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l’amour ; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l’inspirer & le feindre. En vain m’avait-on dit, & avais-je lu qu’on ne pouvait feindre ce sentiment ; je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l’esprit d’un auteur, le talent d’un comédien. Je m’exerçai dans les deux genres, & peut-être avec quelque succès ; mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du théâtre, je résolus d’employer à