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sentirent qu’ils étaient perdus s’ils se séparaient dans ce moment ; ils prirent le parti de faire tête à l’orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientôt d’une satire infructueuse. Emporté par sa légèreté naturelle, il s’occupa d’autres objets : puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l’enthousiasme gagna ; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, & de fixer sur eux l’opinion publique & la sienne.

Il rechercha donc ces modèles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d’un accès si facile. Il vit bientôt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu’on s’y occupait même de distraction ; & il en conclut que les liens d’amour ou d’amitié étaient déjà relâchés ou rompus, & que ceux de l’amour-propre & de l’habitude conservaient seuls quelque force.

Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l’apparence de la même intimité : mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre ; ils s’en plaignaient encore, mais ne s’en dispensaient plus, & rarement les soirées étaient complètes.

Cette conduite de leur part fut profitable à l’assidu