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partageaient les hommages, & éclairées sur leur valeur par l’empressement & les soins dont elles étaient l’objet, leur union n’en devint pourtant que plus forte ; & l’on eût dit que le triomphe de l’une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l’amour amènerait quelque rivalité. Nos plus agréables se disputaient l’honneur d’être la pomme de discorde ; & moi-même, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur où la comtesse de *** s’éleva dans ce même temps, m’eût permis de lui être infidèle avant d’avoir obtenu l’agrément que je demandais.

Cependant nos trois beautés, dans le même carnaval, firent leur choix comme de concert ; & loin qu’il excitât les orages qu’on s’en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences.

La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, & la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables (ainsi la nomma-t-on alors), la loi fondamentale était la communauté de biens, & que l’amour même y était soumis ; d’autres assuraient que les trois amants, exempts de rivaux, ne l’étaient pas de rivales : on alla même jusqu’à dire qu’ils n’avaient été admis que par décence, & n’avaient obtenu qu’un titre sans fonction.

Ces bruits, vrais ou faux, n’eurent pas l’effet qu’on s’en était promis. Les trois couples, au contraire,