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tout entière, je me chargeai de veiller à notre commune sûreté : mais après m’être assuré qu’une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tâchai d’obtenir de ses yeux qu’ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d’abord quelques regards, mais avec tant de réserve, que la modestie n’en pouvait être alarmée ; & pour mettre la timide personne plus à son aise, je paraissais moi-même aussi embarrassé qu’elle. Peu à peu nos yeux accoutumés à se rencontrer, se fixèrent plus longtemps ; enfin ils ne se quittèrent plus : j’aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l’amour & du désir ; mais ce ne fut qu’un moment ; & bientôt revenue à elle-même, elle changea, non sans quelque honte, son maintien & son regard.

Ne voulant pas qu’elle pût douter que j’eusse remarqué ses divers mouvements, je me levai avec vivacité, en lui demandant, avec l’air de l’effroi, si elle se trouvait mal. Aussitôt tout le monde vint l’entourer. Je les laissai tous passer devant moi ; & comme la petite Volanges, qui travaillait à la tapisserie auprès d’une fenêtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son métier, je saisis ce moment pour lui remettre la lettre de Danceny.

J’étais un peu loin d’elle ; je jetai l’épître sur ses genoux. Elle ne savait en vérité qu’en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise & d’embarras ; pourtant je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahît. Mais un coup d’œil & un