Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 1.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoi m’exercer dans les deux genres, mais non pas avec la même facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l’amour. La petite Volanges est rendue, j’en réponds ; elle ne dépend plus que de l’occasion, & je me charge de la faire naître. Mais il n’en est pas de même de madame de Tourvel : cette femme est désolante, je ne la conçois pas ; j’ai cent preuves de son amour, mais j’en ai mille de sa résistance ; &, en vérité, je crains qu’elle ne m’échappe.

Le premier effet qu’avait produit mon retour, me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-même ; & pour m’assurer de voir les premiers mouvements, je ne m’étais fait précéder par personne, & j’avais calculé ma route pour arriver pendant qu’on serait à table. En effet, je tombai des nues, comme une divinité d’opéra qui vient faire un dénouement.

Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du même coup d’œil la joie de ma vieille tante, le dépit de madame de Volanges, & le plaisir décontenancé de sa fille. Ma belle, par la place qu’elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tête : mais j’adressai la parole à madame de Rosemonde ; & au premier mot, la sensible dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri, dans lequel je crus reconnaître plus d’amour que de surprise & d’effroi. Je m’étais alors assez avancé pour voir sa figure : le tumulte de son