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LES LIAISONS

venir qu’il eût été plaisant de la laisser dans cette situation : mais pouvais-je souffrir qu’une femme fût perdue pour moi, sans l’être par moi ? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maîtriser par les circonstances ? Il fallait donc trouver un moyen. Qu’eussiez-vous fait, ma belle amie ? Voici ma conduite, & elle a réussi.

J’eus bientôt reconnu que la porte en question pouvait s’enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J’obtins donc de la vicomtesse, non sans peine, qu’elle jetterait des cris perçants & d’effroi, comme au voleur, à l’assassin, etc., etc. Et nous convînmes qu’au premier cri, j’enfoncerais la porte, & qu’elle courrait à son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la décider, même après qu’elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par là, & au premier coup de pied la porte céda.

La vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps ; car au même instant, le vicomte et Vressac furent dans le corridor ; & la femme de chambre accourut aussi à la chambre de sa maîtresse.

J’étais seul de sang-froid, & j’en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore, & la renverser par terre : car vous jugez combien il eût été ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumière dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari & l’amant sur leur sommeil léthargique, en les assurant que les cris auxquels j’étais accouru, & mes efforts pour enfoncer la porte, avaient duré au moins cinq minutes.