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J’ai donc trouvé la vicomtesse ici, & comme elle joignait ses instances aux persécutions qu’on me faisait pour passer la nuit au château : « Eh bien, j’y consens, lui dis-je, à condition que je la passerai avec vous. — Cela m’est impossible, me répondit-elle, Vressac est ici. » Jusque-là je n’avais cru que lui dire une honnêteté : mais ce mot d’impossible me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d’être sacrifié à Vressac, & je résolus de ne le pas souffrir : j’insistai donc.

Les circonstances ne m’étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l’ombrage au vicomte ; en sorte que la vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle : & ce voyage chez la bonne comtesse avait été concerté entre eux, pour tâcher d’y dérober quelques nuits. Le vicomte avait même d’abord montré de l’humeur d’y rencontrer Vressac ; mais comme il est encore plus chasseur que jaloux, il n’en est pas moins resté : & la comtesse, toujours telle que vous la connaissez, après avoir logé la femme dans le grand corridor, a mis le mari d’un côté, l’amant de l’autre, & les a laissés s’arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis-à-vis.

Ce jour-là même, c’est-à-dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le vicomte, chassait avec lui malgré son peu de goût pour la chasse, & comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l’ennui que le mari lui causait tout le jour : mais moi je jugeai qu’il aurait besoin de repos, & je