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rerais votre confiance, dans le dessein de la trahir ; j’accepterais votre amitié, dans l’espoir de l’égarer… Quoi ! Madame, ce tableau vous effraie ?… hé bien ! il serait pourtant tracé d’après moi, si je vous disais que je consens à n’être que votre ami…

Qui, moi ! je consentirais à partager avec quelqu’un un sentiment émané de votre âme ! Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper ; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus.

Ce n’est pas que l’aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux… Mais l’amour ! l’amour véritable, & tel que vous l’inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d’énergie, ne saurait se prêter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l’âme, qui permet des comparaisons, qui souffre même des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l’amour le plus tendre, & même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l’anéantir.

De quel droit prétendez-vous disposer d’un cœur dont vous refusez l’hommage ? Par quel raffinement de cruauté m’enviez-vous jusqu’au bonheur de vous aimer ? Celui-là est à moi. Il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S’il est la source de mes maux, il en est aussi le remède.

Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels, mais laissez-moi mon amour. Vous vous plai-