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mauvais rêve dont le réveil sera délicieux ; &, à tout prendre, il me semble qu’elle me doit de la reconnaissance : au fait, quand j’y aurais mis un peu de malice, il faut bien s’amuser :

Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs.[1]

Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d’ardeur, & alors je le servirai de tout mon pouvoir ; ou si ce n’est qu’un sot, comme je suis quelquefois tentée de le croire, il sera désespéré & se tiendra pour battu : or, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu’il était en moi ; chemin faisant, j’aurai augmenté pour moi l’estime de la mère, l’amitié de la fille & la confiance de toutes deux. Et quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maîtresse de l’esprit de sa femme, comme je le suis & vais l’être plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d’en faire ce que je veux qu’il soit. Je me couchai dans ces douces idées : aussi je dormis bien, & me réveillai fort tard.

À mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mère & un de la fille ; & je ne pus m’empêcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette même phrase : c’est de vous seule que j’attends quelque consolation. N’est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour & contre, & d’être le seul agent de deux intérêts directement contraires ? Me voilà comme la Divinité, recevant

  1. Gresset, Le méchant, comédie.