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vous me demandez ? Croire à vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre ? & sans attaquer ni défendre leur sincérité, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire à vous-même, de savoir que je ne veux ni ne dois y répondre ?

Supposé que vous m’aimiez véritablement (& c’est seulement pour ne plus revenir sur cet objet, que je consens à cette supposition), les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables ? & aurais-je autre chose à faire, qu’à souhaiter que vous pussiez bientôt vaincre cet amour, & surtout à vous y aider de tout mon pouvoir, en me hâtant de vous ôter tout espérance ? Vous convenez vous-même que ce sentiment est pénible, quand l’objet qui l’inspire ne le partage point. Or, vous savez assez qu’il m’est impossible de le partager ; & quand même ce malheur m’arriverait, j’en serais plus à plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J’espère que vous m’estimez assez pour n’en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cœur à qui la tranquillité est si nécessaire ; ne me forcez pas à regretter de vous avoir connu.

Chérie & estimée d’un mari que j’aime & respecte, mes devoirs & mes plaisirs se rassemblent dans le même objet. Je suis heureuse, & je dois l’être. S’il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas ; je ne veux point les connaître. En est-il de plus doux que d’être en paix avec soi-même, de n’avoir que des jours sereins, de s’endormir sans trouble & de s’éveiller sans remords ? Ce que vous appelez le bonheur,