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nus. Nous réussîmes si bien, qu’au dessert il n’avait déjà plus la force de tenir son verre : mais la secourable Émilie & moi l’entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu’elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidâmes alors à le renvoyer à Paris ; & comme il n’avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, & je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l’assemblée, qui se retira bientôt après, & me laissa maître du champ de bataille. Cette gaieté, & peut-être ma longue retraite, m’ont fait trouver Émilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu’à la résurrection du Hollandais.

Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu’elle vient d’avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle dévote, à qui j’ai trouvé plaisant d’envoyer une lettre écrite du lit & presque d’entre les bras d’une fille, interrompue même par une infidélité complète, & dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation & de ma conduite. Émilie, qui a lu l’épître, en a ri comme une folle, & j’espère que vous en rirez aussi.

Comme il faut que ma lettre soit timbrée de Paris, je vous l’envoie ; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, & la faire mettre à la poste. Surtout n’allez pas vous servir de votre cachet, ni même d’aucun emblème amoureux ; une tête seulement. Adieu, ma belle amie.

Je rouvre ma lettre ; j’ai décidé Émilie à aller aux Italiens… Je profiterai de ce temps pour aller