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qu’elle avait jointes avec une expression tout à fait touchante ; là je commençais de tendres plaintes, quand un démon ennemi a ramené madame de Rosemonde. La timide dévote, qui a en effet quelque raison de craindre, en a profité pour se retirer.

Je lui ai pourtant offert la main qu’elle a acceptée ; & augurant bien de cette douceur, qu’elle n’avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes, j’ai essayé de la serrer. Elle a d’abord voulu la retirer ; mais sur une instance plus vive, elle s’est livrée d’assez bonne grâce, quoique sans répondre ni à ce geste, ni à mes discours. Arrivés à la porte de son appartement, j’ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La défense a commencé par être franche ; mais un songez donc que je pars, prononcé bien tendrement, l’a rendue gauche & insuffisante. A peine le baiser a-t-il été donné, que la main a retrouvé sa force pour échapper, & que la belle est entrée dans son appartement où était sa femme de chambre. Ici finit mon histoire.

Comme je présume que vous serez demain chez la maréchale de…, où sûrement je n’irai pas vous trouver ; comme je me doute bien aussi qu’à notre première entrevue nous aurons plus d’une affaire à traiter, & notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j’ai pris le parti de me faire précéder par cette lettre ; & toute longue qu’elle est, je ne la fermerai qu’au moment de l’envoyer à la poste : car au terme où j’en suis, tout peut dépendre d’une occasion ; & je vous quitte pour aller l’épier.