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Aussi, sans mon zèle pour le service de Monsieur, je n’aurais eu cela qu’une fois. » (C’est un vrai trésor que ce garçon.) « Quant au secret », ajouta-t-il encore, « à quoi servira-t-il de le lui faire promettre, puisqu’elle ne risquera rien à nous tromper ? Lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu’il est important, & par là lui donner plus d’envie d’en faire sa cour à sa maîtresse. »

Plus ces réflexions étaient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drôle était en train de jaser ; & comme j’avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m’apprit que, comme la chambre qu’elle occupe n’est séparée de celle de sa maîtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c’était dans la sienne qu’ils se rassemblaient chaque nuit. Aussitôt je formai mon plan ; je le lui communiquai, & nous l’exécutâmes avec succès.

J’attendis deux heures du matin, et alors je me rendis, comme nous en étions convenus, à la chambre du rendez-vous, portant de la lumière avec moi & sous le prétexte d’avoir sonné plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rôles à merveille, donna une petite scène de surprise, de désespoir & d’excuse, que je terminai en l’envoyant me faire chauffer de l’eau, dont je feignis avoir besoin ; tandis que la scrupuleuse chambrière était d’autant plus honteuse, que le drôle qui avait voulu renchérir sur mes projets l’avait déterminée à une toilette que la saison comportait, mais qu’elle n’excusait pas.