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DANGEREUSES.

Vous vous rappellerez, peut-être, quelle préoccupation s’empara de moi au retour ! Hélas ! je cherchais à combattre un penchant que je sentais devenir plus forte que moi.

C’est après avoir épuisé mes forces dans ce combat inégal, qu’un hasard, que je n’avais pu prévoir, me fit trouver seul avec vous. Là, je succombai, je l’avoue. Mon cœur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime ? & si c’en est un, n’est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livré ?

Dévoré par un amour sans espoir, j’implore votre pitié & ne trouve que votre haine : sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, & je tremble de rencontrer vos regards. Dans l’état cruel où vous m’avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines, & les nuits à m’y livrer ; tandis que vous, tranquille & paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer & vous en applaudir. Cependant c’est vous qui vous plaignez, & c’est moi qui m’excuse.

Voilà pourtant, Madame, voilà le récit fidèle de ce que vous nommez mes torts, & que peut-être il serait plus juste d’appeler mes malheurs. Un amour pur & sincère, un respect qui ne s’est jamais démenti, une soumission parfaite ; tels sont les sentiments que vous m’avez inspirés. Je n’eusse pas craint d’en présenter l’hommage à la Divinité même. O vous, qui êtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence ! Songez à mes peines cruelles ; songez surtout que, placé par