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DANGEREUSES.

sang-froid, & chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai.

On va d’ici, tous les matins, chercher les lettres à la poste, qui est environ à trois quarts de lieue : on se sert, pour cet objet, d’une boîte couverte à peu près comme un tronc, dont le maître de la poste a une clef & madame de Rosemonde l’autre. Chacun y met ses lettres dans la journée, quand bon lui semble : on les porte le soir à la poste, & le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens, étrangers ou autres, font ce service également. Ce n’était pas le tour de mon domestique ; mais il se chargea d’y aller, sous le prétexte qu’il avait affaire de ce côté.

Cependant j’écrivis ma lettre. Je déguisai mon écriture pour l’adresse, & je contrefis assez bien, sur l’enveloppe, le timbre de Dijon. Je choisis cette ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mêmes droits que le mari, d’écrire aussi du même lieu, & aussi parce que ma belle avait parlé toute la journée du désir qu’elle avait de recevoir des lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir.

Ces précautions une fois prises, il était facile de faire joindre cette lettre aux autres. Je gagnais encore à cet expédient d’être témoin de la réception ; car l’usage est ici de se rassembler pour déjeûner, & d’attendre l’arrivée des lettres avant de se séparer. Enfin elles arrivèrent.

Madame de Rosemonde ouvrit la boîte. « De Dijon », dit-elle, en donnant la lettre à madame de Tourvel. — « Ce n’est pas l’écriture de mon mari », reprit