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DANGEREUSES.

qu’elles sont bonnes que pour ne se pas démentir.

De plus, une remarque que je m’étonne que vous n’ayez pas faite, c’est qu’il n’y a rien de si difficile en amour, que d’écrire ce qu’on ne sent pas. Je dis encore d’une façon vraisemblable : ce n’est pas qu’on ne se serve des mêmes mots, mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, & cela suffit. Relisez votre lettre : il y règne un ordre qui vous décèle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s’en pas apercevoir ; mais qu’importe ? l’effet n’en est pas moins manqué. C’est le défaut des romans ; l’auteur se bat les flancs pour s’échauffer, & le lecteur reste froid. Héloïse est le seul qu’on en puisse excepter ; & malgré le talent de l’auteur, cette observation m’a toujours fait croire que le fonds en était vrai. Il n’en est pas de même en parlant. L’habitude de travailler son organe y donne de la sensibilité ; la facilité des larmes y ajoute encore : l’expression du désir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse ; enfin le discours moins suivi amène plus aisément cet air de trouble & de désordre, qui est la véritable éloquence de l’amour ; & surtout la présence de l’objet aimé empêche la réflexion & nous fait désirer d’être vaincues.

Croyez-moi, vicomte : on vous demande de ne plus écrire ; profitez-en pour réparer votre faute, & attendez l’occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais ? sa défense est bonne ; &, sans la longueur de sa lettre, & le prétexte qu’elle vous donne, pour rentrer en matière dans sa