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LES LIAISONS

ment qu’il fût venu ; de l’autre, je sais assez que, quoi qu’on en dise, une occasion manquée se retrouve, tandis qu’on ne revient jamais d’une démarche précipitée.

Mais la véritable école est de vous être laissé aller à écrire. Je vous défie de prévoir à présent où ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu’elle doit se rendre ? Il me semble que ce ne peut être là qu’une vérité de sentiment & non de démonstration ; & que pour la faire recevoir, il s’agit d’attendrir & non de raisonner ; mais à quoi vous servirait d’attendrir par lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter ? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'amour, vous flattez-vous qu’elle soit assez longue pour que la réflexion n’ait pas le temps d’en empêcher l’aveu ? Songez donc à celui qu’il faut pour écrire une lettre, à celui qui se passe avant qu’on la remette ; & voyez si, surtout une femme à principes comme votre dévote peut vouloir si longtemps ce qu’elle tâche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec des enfants, qui, quand ils écrivent je vous aime, ne savent pas qu’ils disent je me rends. Mais la vertu raisonneuse de madame de Tourvel me paraît fort bien connaître la valeur des termes. Aussi, malgré l’avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive ? par cela seul qu’on dispute, on ne veut pas céder. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve ; on les dit ; & après on y tient, non pas tant parce