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LES LIAISONS

vicieux un homme de bien reconnu, dont j’apprendrais une faute. L’humanité n’est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l’honnête homme ses faiblesses. Cette vérité me paraît d’autant plus nécessaire à croire, que c’est d’elle que dérive la nécessité de l’indulgence pour les méchants comme pour les bons, & qu’elle préserve ceux-ci de l’orgueil, & sauve les autres du découragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal, dans ce moment, cette indulgence que je prêche ; mais je ne vois plus en elle qu’une faiblesse dangereuse, quand elle nous mène à traiter de même le vicieux & l’homme de bien.

Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l’action de M. de Valmont ; je veux les croire louables comme elle : mais en a-t-il moins passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur & le scandale ? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu’il a secouru, mais qu’elle ne vous empêche pas d’entendre les cris de cent victimes qu’il a immolées. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu’un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-même une liaison dangereuse ? Vous le supposez susceptible d’un retour heureux ? Allons plus loin ; supposons ce miracle arrivé : ne resterait-il pas contre lui l’opinion publique, & ne suffit-elle pas pour régler votre conduite ? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir ; il lit dans les cœurs ; mais les hommes ne peuvent juger les pensées que par les actions ; et nul d’entre eux, après avoir perdu l’estime