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Bien des gens croient que les artistes sont nécessairement jaloux les uns des autres. Je plains ces gens d’être si peu artistes eux-mêmes et de ne pas comprendre que la pensée d’assassiner nos émules serait celle de notre propre suicide.

Puisque l’occasion s’en présente, je veux la saisir pour vous soumettre quelques réflexions générales dont chacun peut faire son profit.

L’action dramatique exclut-elle l’analyse des sentiments et des passions, et réciproquement ? L’homme intérieur peut-il être suffisamment révélé dans les courtes proportions de la scène, au milieu du mouvement précipité des incidents de sa vie extérieure ? Je n’hésite pas à dire oui, je n’hésite pas à reconnaître que vous l’avez plusieurs fois prouvé. Cependant l’activité de l’imagination, la fièvre de la vie vous ont aussi plusieurs fois emporté jusqu’à sacrifier des nuances, des développements de caractère et, par là, vous n’avez pas satisfait le besoin que j’éprouve de bien connaître les personnages dont je vois les actions et de bien pénétrer le motif de leurs actions. Je crois qu’avec la volonté, la merveilleuse puissance que vous avez de tenir notre intérêt en haleine, vous pouviez sacrifier un peu mon genre de scrupule à l’éclat des choses extérieures. Quand vous l’avez fait, vous avez bien fait après tout, puisque vous pouviez en dédommagement nous donner tant de belles choses dramatiques. Mais à ces mouvants tableaux, à ces enchaînements de péripéties, je préfère celles de vos œuvres où l’esprit est satisfait par la réflexion autant que par l’imprévu.

Donc on peut resserrer dans le cadre étroit de la représentation l’analyse du cœur humain et l’imprévu rapide de la vie réelle.

Mais c’est fort difficile tout le monde n’est pas vous, et, en cherchant à imiter votre manière, on a trop habitué le public à se passer de ce dont vous n’avez jamais fait bon marché, vous dont il est possible d’imiter le costume, mais non l’être qui le porte.

J’ai donc souhaité, moi dont les instincts sont plus concentrés et la création moins colorée, de donner au public ce qui était en moi, sans songer à imiter un maître dont je chéris la puissance, et je me suis dit, avec le bonhomme :

Ne forçons point notre talent.

De là cette pièce de Molière, où je n’ai cherché à représenter que