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C’étaient, moins remarquables à coup sûr que les rois de la littérature, des arts et de la politique que nous venons de nous rappeler, mais peut-être plus remarquées, c’étaient cent femmes aux pieds desquelles nos pères rampaient, et dont le nom est aussi pour nous lettre morte.

Dumas avait rêvé d’entourer ces splendeurs de splendides cadres. Vrai, quand on lui vante les bals de l’Hôtel de Ville qui soulèvent tant de bruit, il ne doit pas pouvoir s’empêcher de sourire en songeant aux décorateurs de cette fête-là. On les nommait Eugène Delacroix, les Boulanger, les Johannot, Decamps, Grandville, les Cicéri. Si vous voulez savoir ce qu’ils étaient capables de faire et ce qu’ils ont fait, lisez le second volume des Souvenirs du maître, et vous verrez que de pareils artistes méritaient bien les six chapitres qu’il leur a consacrés. En trois jours, les murs de tout l’étage destiné à ce bal furent couverts de scènes d’histoire, d’animaux, de portraits, de paysages. Eugène Delacroix seul manquait à l’appel ; on lui avait réservé un panneau. C’est celui devant lequel nous sommes, car, puisque Delacroix avait promis à Dumas de venir, il fallait qu’il vînt ; il arriva le jour même de la fête.

Il s’était engagé à peindre à la détrempe un sujet tiré du Romancero, traduit par Émile Deschamps, le roi Rodrigue après la défaite du Guadalète. Regardez ce tableau et dites-moi si, lors de la dernière exposition de peinture, il n’eût pas mieux valu entrer dans l’antichambre de Dumas que d’aller au Palais des Champs-Elysées.

Il y a là des raccourcis qui feraient crier miracle à Gustave Doré lui-même ; mais devant cette toile l’artiste cède bientôt la place à l’homme ; j’ai eu souvent envie d’embrasser le cheval de Rodrigue, tant cette noble bête a l’air d’aimer son maître vers qui elle se tourne comme pour chercher ses yeux.