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L’AFFAIBLISSEMENT DE LA NATALITÉ FRANÇAISE

enfants[1], mais il ne nous semble pas excessif de souhaiter qu’elle s’inspire d’une préoccupation favorable à la formation des familles nombreuses, loin de leur susciter des obstacles ou de leur imposer des surcharges[2].

S’il est vrai que le mal soit moral et qu’il appelle surtout des remèdes moraux, la loi devrait au moins s’abstenir d’organiser les impôts comme un châtiment de la fécondité et d’aggraver par les contraintes successorales les calculs de l’égoïsme, qui n’a certes pas besoin de cette incitation légale.

En résumé, que les moralistes se mettent à l’œuvre pour tendre le frein moral et prêcher le devoir, que les économistes multiplient leur démonstration de l’accord entre l’intérêt et le devoir au regard de la fécondité ; que les législateurs retranchent du code tout élément de conflit entre ces deux facteurs et tout encouragement même involontaire et indirect à la stérilité ; enfin que les bons citoyens se groupent comme en une vaste croisade en vue d’émouvoir et de convaincre l’opinion publique : ce ne sera pas trop de tous ces efforts convergents pour endiguer ce grand mal qui, suivant une parole cruelle prononcée au Reichstag, équivaut pour nous chaque jour à la perte d’une bataille et qui, s’il se prolongeait, « dispenserait dons quelque temps les ennemis de la France d’avoir à compter avec elle[3]. »

E. CHEYSSON.
  1. À Sparte, on restait soldat tant qu’on n’avait pas donné trois fils à l’État. Au quatrième on était dispensé de tout service militaire. (Aristote, Polit. II, 6, 13.)
  2. Il ne serait pas nécessaire d’aller, si l’opinion publique ne le tolère pas encore, jusqu’à la liberté complète de tester. Le Play a rangé parmi les pays de liberté testamentaire ceux où la quotité disponible atteignait la proportion de moitié, comme l’Italie, l’Autriche, la Prusse. — Voir, sur les atténuations de notre régime successoral, la savante étude de M. Glasson (Réforme sociale, 16 août 1889, p. 209) et l’appendice annexé par M. Claudio Jannet à la troisième édition de l’Organisation de la famille, par Le Play (p. 308-416). On trouvera dans ce remarquable travail le programme des réformes très pratiques que réclame l’école de la Paix sociale et qui, en même temps qu’à l’accroissement de la population, donneraient satisfaction à tous les autres intérêts en jeu.
  3. Au Congrès de 1815, le diplomate anglais, n’ayant pu obtenir de restreindre nos frontières autant qu’il le désirait, s’écria : « Après tout, les Français sont suffisamment affaiblis par leur régime de succession. » (Cité par M. F. Le Play, d’après M. le comte de Rayneval, Réforme sociale, I, p. 278.)

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