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SES CAUSES ET SES REMÈDES.

liaires de leur travail ou des sources de revenus[1]. Là où les enfants trouvent un débouché fructueux, ils pullulent sans restriction.

Tous ces éléments moraux s’entremêlent pour contenir ou seconder l’instinct et c’est du conflit ou de la composition de toutes ces forces que résulte la natalité.

III

Après avoir établi l’influence des trois forces en jeu, examinons les moyens de les faire concourir à accroître la population. La première d’entre elles, l’instinct, nous est favorable. Restent les deux autres, le devoir, l’intérêt, qui tantôt nous servent, et tantôt nous combattent. Est-il possible de les fortifier dans le sens de la fécondité ?

Pour le devoir dans ses rapports avec la population, rien ne paraît de nature à suppléer le sentiment religieux. Un philosophe qui croyait à la décadence certaine de ce sentiment, M. Guyau, a consacré, dans son livre, à certains égards remarquable, sur l’Irreligion de l’avenir, un chapitre très curieux à ce problème et s’y demande avec anxiété comment l’on pourra remplacer l’influence religieuse pour sauver la fécondité de la race. Il exprime l’espérance que la science fera désormais ce que la religion a fait jusqu’ici. Mais, en attendant la réalisation de cette espérance plus ou moins problématique, il est certain que tout déclin de la religion, toute détente du frein moral, tout progrès de l’égoïsme et de la domination du capital[2], se traduisent par un amoindrissement de la natalité. Il y a donc là un vaste champ d’action ouvert aux prédications des moralistes, qui se chargeront d’enseigner ou de rappeler aux pères de famille leur devoir social.

En ce qui concerne l’intérêt, c’est un mobile puissant qu’il est dangereux d’avoir contre soi : il importe donc de supprimer les motifs qui le dressent contre la natalité. Or la loi, telle qu’elle est faite dans notre

  1. « Aux environs de Caen, de Bayeux, de Cherbourg, la fabrication des dentelles s’exerce par les mains des femmes et des jeunes gens, et n’occupe pas moins de 70 000 personnes. Elle retient les femmes au foyer. Les enfants y trouvent de bonne heure à s’occuper. Le paysan ne craint pas là comme ailleurs de voir s’accroître sa famille. » (Rapport sur les conditions des populations agricoles de la Normandie, par M. Baudrillart.)
  2. M. Guyau fait remarquer que l’avènement relativement récent du capital tend à restreindre la fécondité. « Le capital, sous sa forme égoïste, est ennemi de la population, parce qu’il l’est du partage et que la multiplication des hommes est toujours plus ou moins une division de la richesse. » (Ibid., p. 267.)