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SES CAUSES ET SES REMÈDES.

Je ne crois pas que nous soyons acculés à cette extrémité en ce qui Concerne la natalité française. De ce que les diverses causes se croisent, se contrarient et aboutissent à des effets contradictoires suivant leur prédominance respective, il ne s’ensuit pas que chacune d’elle ne garde son influence sur la résultante et qu’en agissant sur l’une ou l’autre d’entre elles on ne puisse agir sur cette résultante elle-même.

Débarrassés de cette fin de non-recevoir préalable, reprenons les divers facteurs de la volonté des parents et voyons comment ils influent sur la natalité.

L’instinct, la passion innée, poussent à la reproduction. C’est une force que la population a dans son jeu, qui conspire en sa faveur. Si elle n’est pas contenue par des forces antagonistes, elle tend à peupler le monde.

Tandis que l’instinct agit toujours dans le même sens, l’intérêt peut agir dans des sens opposés. Ici le père appréciera que les enfants sont une richesse pour lui, qu’ils l’aideront à cultiver son champ, à manœuvrer sa barque, à alimenter le ménage par leur salaire. L’instinct, servi par l’intérêt, fera son œuvre et la famille sera féconde. Là, au contraire, le père calculera les charges que lui imposeraient de nouveaux enfants : il faudra les élever, les mettre au collège, les doter, leur sacrifier son confortable. Il limitera donc sa postérité à la mesure de son égoïsme.

Le devoir lui-même pourra recevoir deux interprétations divergentes, qui se traduiront par des résultats différents. Les pères de famille, dominés par le sentiment religieux, obéiront sans hésiter au précepte : « croissez et multipliez » ; ceux-là ont la conviction que Dieu bénit les nombreuses familles. À côté d’eux, d’autres pères se feront une conception opposée de leur rôle et se croiront tenus de préparer à leurs enfants une vie aisée en en limitant le nombre. Si l’on a un enfant unique, il ne sera pas condamné à déchoir ; il conservera le domaine rural, l’atelier, sans avoir à le partager ; il se mariera dans son monde, à son gré, au lieu d’être voué à des choix inférieurs ou au célibat par une dot insuffisante. Avec de telles idées, la stérilité se réclame de la prévoyance et se hausse à la dignité du devoir.

Illustrons ces généralités par quelques applications, empruntées à l’observation courante.

Chacun sait que la misère est prolifique. Le pauvre qui ne compte plus que sur l’assistance publique, s’abandonne à l’instinct et procrée sans réflexion. L’un d’eux auquel on reprochait sa progéniture débordante s’écriait : « Que voulez-vous ? c’est le seul plaisir que l’on puisse avoir gratis[1]. » ― Voilà l’instinct pris sur le fait. ― « Les classes pauvres, a

  1. L’Irréligion de l’avenir, par Guyau, p. 274.