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DANS L’INDE.

Nous n’avons pas encore stoppé, et pourtant la sensation du monde équatorial est déjà très nette. Ce n’est pas la limpidité, le bleu fuide de l’Orient classique. L’eau et le ciel ont ici je ne sais quoi de violent et de surchargé. On devine un pays d’orages et de typhons, un monde situé sur la ceinture du globe, en face d’un hémisphère liquide, une nature accablante où le ciel est presque toujours vertical…

Maintenant, la mer s’assombrit, se couvre de rougeurs, de moires mouvantes. Elles s’effacent, et il reste une sombre lueur violette qui palpite sous le ciel tumultueux. Là-haut, c’est un chaos de lumière et de couleurs ; dans l’ouest, un vague rayonnement de rose paisible ; à l’orient, d’énormes nuées roulent, s’entassent, s’écroulent en fantastiques amas de violets, de verts, d’oranges enflammés. Puis, tout devenant livide, des amoncellements noirs, des amas de gigantesques formes mortes.

Mais l’eau lourde, huileuse, épanche encore une mystérieuse clarté qui tressaille dans l’espace terne. A la surface, un fourmillement d’êtres noirs qui grouillent entre les vagues, sur des pirogues à balanciers, sur des troncs d’arbres creusés, une multitude nue qui glisse, qui se colle aux flancs du navire avec une clameur assourdissante… Et rapidement, en deux minutes, tout cela disparait dans la nuit, nuit impénétrable, étouffante et que vient emplir une lourde, une violente pluie chaude.