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DANS L’INDE.

sinueux avec un grand bruit de soie qu’on déchire.

Tout alentour, le disque de la mer, d’un bleu étonnant, tout brûlant par tribord comme une plaque ardente… Rien que l’eau stérile enflammée, livrée à la fureur du soleil embrasant, du Seigneur qui, là-haut, dévore le ciel, peuple l’espace de son rayonnement, rien qu’une splendeur infinie et morne, rien que ces forces brutes, la chaleur et la lumière, rien que des choses éternelles dont l’indifférence accable. Nulle vie. Eux-mêmes, les petits poissons volants semblent des flammes qui rebondissent sur la surface irritée, brusquement dardés comme des traits de feu blanc.

Au bout de plusieurs jours, cet éclat universel attriste et le cœur se serre d’une tristesse invincible. Je conçois les nostalgies de nos marins du Nord condamnés à errer par ces immensités splendides. Ici, l’infini n’a plus rien de vague ou de doux, il a perdu ce charme mélancolique qui attire e tente, cette tristesse subtile que l’on savoure en en souffrant. Il écrase, il stupéfie. Volontiers on reste immobile avec la sensation toujours présente d’un poids au cœur : on redoute de remuer. C’est une prostration de tout l’être sentant qui ne peut faire effort pour se relever. Le monde intérieur des souvenirs se met à vivre : il grandit, il emplit l’esprit. C’est une obsession amollissante que l’on n’a pas la force de rejeter, un demi-rêve très simple et