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LE COLPORTEUR 13

« Je débuterai, répondit Brochure, par un aveu dont j’espère que vous ne me sçaurez pas mauvais gré ; je ne suis point Colporteur, et cette médaille, que vous me voyez, n’est qu’un passe-port que la Police me donne pour aller, en portant des livres sous le manteau, épier les anecdotes scandaleuses, et les aventures galantes dont je compose le soir un petit memoria que je porte au bureau.

« Ce métier est-il bien bon, demanda M me de Sarmé ?

— La Police, repartit Brochure, me fourni gratis tous les livres que je vends, et comme je ne partage avec personne, le débit seul est à moi. — Avant d’en venir à vos histoires, reprit la Marquise, voyons un peu tous les livres qui sont dans ce sac. » M me de Sarmé et le Chevalier saisirent avidement toutes les brochures qui étoient dans le paquet du Colporteur. Les Œuvres du Marquis de Caraccioli (1) tombèrent d’abord sous la main du Chevalier, chacun étendit les bras, et bâilla, Brochure lui-même s’endormit en disant que Y Univers énigmatique, et la Grandeur d’Ame, étoient deux productions excellentes ; mais on ne crut point à ses éloges intéressés : et la Marquise, appréciant le mérite de l’Auteur Italien, jugea que tous les Ouvrages de ce moderne Scuderi n’étoient qu’une froide rapsodie et une compilation sèche et décousue de quantité de bons livres qu’il avoit gâtés en les découpant mal-adroitement. Toutes les bonnes choses qui passoient par la plume de cet écrivain, perdoient leur mérite réel, telle qu’une eau claire sortant de sa source, perd sa pureté en passant par la fange. Qu’importe, le titre fastueux de Marquis, la qualité pompeuse de Colonel, et le ton imposant d’un Éditeur Liégeois, avoit séduit le Public imbécille ; et le

(1) Dominique, marquis de Caraccioli, né à Naples en 1710, mort en 1786.