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LE COLPORTEUR

— En ferai-je autant de votre Colporteur, répondit la femme de chambre ? — Où donc est-il, demanda la Marquise ? — Dans votre Bibliothèque, reprit Justine. — Eh, faites-le entrer sur le champ. » La femme de chambre fut à peine sortie, que le Chevalier voulut se lever. La Marquise le fixa tendrement, il demeura, et M. Brochure, le Colporteur le mieux fourni et le plus scandaleux du Royaume, entra.

Des Lecteurs impatients me demanderont peut-être quelle étoit la Marquise de Sarmé ; je leur répondrai que c’étoit une de ces femmes qui, ne pouvant plus compter sur leurs appas altérés par le tems et par les plaisirs, se font un mérite de leur fortune, et qu’elles réparent avec leur argent les désordres des années. La Marquise joignoit à cette générosité nécessaire un goût affecté pour tous les ouvrages nouveaux : aimant sur-tout à protéger les gens de lettres, sa maison leur étoit ouverte dans tous les tems, et jamais on ne prit chez M. de la Popeliniere (1) autant d’indigestions qu’à la table de M me de Sarmé. Il est vrai que ses convives étoient de toutes les espèces, et quand elle ne pouvoit avoir d’Auteurs ni de Comédiens du premier ordre, elle prenoit des écrivassiers et des histrions ; et si Diderot et Carlin (2) lui manquoient, elle vouloit bien se borner à des Palissot et à des Marignan (3) : cette mauvaise compagnie en éloignoit la


(1) Fameux Fermier Général, dont la maison est appelée la Ménagerie. {Note de Chevrîer.) Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de la Popelinière (ou Poupelinière) naquit à Paris en 1692 et mourut le 5 décembre 1762. Il est resté célèbre par ses fastes et ses mésaventures conjugales.

(2) Charles-Antoine Bertinazzi, dit Carlin, célèbre acteur de la Comédie Italienne. Chevrier lui a consacré une notice. On la trouvera plus loin, p. 210.

(3) Mauvais sujet, et plus mauvais arlequin ; il a le talent de surprendre des applaudissemens de ceux qui n’ont jamais vu l’arlequin de Paris. Au demeurant il a été chassé de Lyon pour un cas grave ; et de Paris, parce qu’on n’y aime que le bon, et qu’on n’y supporte que la médiocrité. (Note de Chevrier.) Marignan avait débuté aux Italiens, le 4 avril 1758. Il quitta Paris en 1759, vraisemblablement pour Lyon, où, malgré ce que dit Chevrier, il joua jusqu’en 17G7. Il rentra aux Italiens, le i" avril 17O8. On ignore la date de sa mort.