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LE COLPORTEUR

caractères avec lesquels on vole à la fortune, en obligeant beaucoup d’honnêtes gens. — Je ne vous entends point, répliqua Mme de Sarmé. — Ce que je dis est pourtant très-clair ; et votre petit Abbé a le talent respectable de faire des mariages de l’instant, qui lui valent beaucoup d’argent et de considération. — Quoi ! s’écria la Marquise, l’Abbé seroit un... Ah, cela n’est pas possible ! — Oh, très-possible, Madame ; et puisque vous voulez que je vous parle vrai, je vous dirai à l’oreille, que je ne dois qu’à ses soins l’honneur de vous avoir été quelque chose... — Ah ! le petit maussade, dit Mme de Sarmé ; je ne veux le voir de mes jours ; mais en effet, continuât-elle, je me rappelle qu’avant que vous vinssiez chez moi, cet Abbé me parloit de vous avec enthousiasme, m’entretenoit des bonnes fortunes que vous aviez, et finissoit toujours par louer votre taille. — Le voilà bien, Madame, reprit le Chevalier, jamais il ne me parloit de vous, qu’il ne me fit entendre que vous me voyiez avec plaisir, et que vous détestiez du meilleur de votre cœur toutes les Femmes qui me vouloient du bien. — Ah ! convenez donc, répondit Mme de Sarmé, que cet Abbé est un effronté personnage dont il faut se débarrasser. — S’il avait sçu lire, répliqua le Chevalier, j’en aurois fait un honnête Curé de campagne, qui se seroit engraissé en nettoyant l’âme de mes paysans ; mais cela ne sait que négocier une intrigue, manger, s’enivrer et dormir. — En ce cas, reprit la Marquise, faisons-en un Chanoine d’une petite ville de Province, où il pourra végéter à son aise. — C’est mon projet, Madame, répartit le Chevalier, les services qu’il m’a rendus auprès de vous, m’engagent à lui faire un sort ; et puisque vous vous intéressez encore à lui, sa fortune est faite. — J’en accepte l’augure, dit Mme de Sarmé, pourvu qu’il ne paraisse jamais à mes yeux. Holà, Justine, si le petit Abbé vient, congédiez-le.