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ÉCOLE DU CITOYEN.

qui dès lors ont fixé les destinées de ma vie. C’est par mes mains qu’elle faisait passer les secours qu’elle donnait aux indigents, et le ton d’intérêt qu’elle mettait en leur parlant m’inspira celui dont elle était animée.

« L’amour des hommes est la base de celui de la justice ; car l’idée du juste ne se développe pas moins par le sentiment que par la raison. J’avais déjà le sens moral développé à huit ans ; à cet âge, je ne pouvais soutenir la vue des mauvais traitements exercés contre autrui, l’aspect d’une cruauté me soulevait d’indignation, et toujours le spectacle d’une injustice fit bondir mon cœur comme le sentiment d’un outrage personnel.

« Pendant mes premières années, mon physique était très-débile ; aussi n’ai-je connu ni la pétulance, ni l’étourderie, ni les jeux de l’enfance. Docile et appliqué, mes maîtres obtenaient tout de moi par la douceur. Je n’ai jamais été châtié qu’une fois, et le ressentiment d’une humiliation injuste fit en moi une si forte impression qu’il fut impossible de me ramener sous la férule de mon instituteur ; je restai deux jours entiers sans vouloir prendre aucune nourriture. J’avais alors onze ans ; on jugera de la fermeté de mon caractère par ce seul trait : Mes parents n’ayant pu me faire fléchir, et l’autorité paternelle se croyant compromise, je fus renfermé dans une chambre ; ne pouvant résister à l’indignation qui me suffoquait, j’ouvris la croisée et me précipitai dans la rue ; heureusement la croisée n’était pas élevée, mais je ne laissai pas de me blesser violemment dans la chute ; j’en porte encore la cicatrice au front.

« Les hommes légers qui me reprochent d’être une tête verront ici que je l’ai été de bonne heure ; mais ce qu’ils refuseront peut-être de croire, c’est que dès