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fois des inférences justifiables. » Les grands réalistes comme Flaubert, Maupassant, Zola, étaient soutenus, les uns, comme Flaubert et Maupassant, par un vif sentiment artistique, les autres, comme Zola, par un vif sentiment social, et quelque chose d’épique se mêle aux brutalités de ce qu’il a produit de pire. Chez Gissing, il n’y a pas de brutalités, il n’y a rien de pire. Son œuvre est d’une terne et égale tristesse. Il récuse également la science et la religion, et n’attend rien du destin, ni pour ses semblables ni pour lui-même. On l’a parfois considéré comme l’historien sympathique des classes laborieuses. Il ne fut guère que l’historien des souffrances et des rancœurs que la pauvreté, dont il ne put s’affranchir, infligea longtemps à son tempérament d’artiste et de lettré. Il a vécu presque toute sa vie à Londres, dans une mansarde ou dans un grenier, avec des compagnes inférieures ou méprisables. D’autres en son temps furent bohèmes par goût et par pose, par instinct et par profession. Gissing fut le bohème par nécessité, le misérable qui a mérité sa misère, qui le sait, en souffre, et, sans en rendre l’univers responsable, ne le voit pourtant qu’à travers sa destinée de paria, de proscrit, d’exilé.

Fils d’un pharmacien, pourvu d’une excellente éducation classique à Manchester, il en garda toute sa vie le culte de l’antiquité. Intellectuellement, il était fait pour devenir un Walter Pater. Jusqu’à sa mort, il étudia par plaisir ta prosodie grecque. Moralement, c’était un Verlaine.

Étudiant timide, solitaire, sensuel, il s’acoquine à dix-neuf ans avec une médiocre créature, l’épouse, fouille pour elle le porte-monnaie de ses camarades, est surpris, condamné, emprisonné. À vingt ans, il gagne sa vie aux États-Unis comme photographe, plombier, « reporter »,