lui-même, toutes races et toutes classes égales, tous milieux compris.
Cependant, le commercialisme victorien ne déserte pas. Il pénètre au contraire plus avant dans la production du roman. La critique, souvent vigoureuse, n’est point rigoureuse, ni exclusive, parce que, sauf en des revues spéciales, elle est au goût du public et au service du succès. Presque tout ce qui paraît lui paraît digne d’attention. Elle ne déblaie pas, comme chez nous, par le silence et la prétention. La concurrence effrénée que détermine chez les romanciers l’appât d’une clientèle de deux cents millions de sujets britanniques, américains et coloniaux de langue anglaise ; l’invraisemblable hâte qu’elle leur impose par les agences de publication simultanée dont le râle devient énorme, abaissent constamment, au profit des marchands de copie, la barrière entre l’art et le métier, les lettres et le commerce.
Beaucoup de romans, les plus connus et les plus célèbres même parmi les gens les plus cultivés, seraient chez nous des feuilletons, de la littérature de chemin de fer. Mais ils existent et ont une influence parce qu’ils sont rarement sans idées, jamais sans atmosphère, et que, pour tout dire, c’est moins l’impuissance qui s’y révèle que la puissance qui s’y abaisse.
Une autre conséquence de cette production forcenée, c’est l’usure rapide des renommées. À peine un grand romancier anglais a-t-il séduit le continent qu’il a déjà cessé d’être, en Angleterre, une puissance, car d’autres noms y servent à conjurer les foules. Depuis trente ans qu’à titre d’information sur la tendance des esprits je suis de près le développement de la fiction contemporaine en Angleterre, il ne m’est arrivé que deux fois, pour Kipling et pour Wells (après les avoir signalés au public),