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moutons, sont pour eux ce qu’ils étaient pour les anciens. Les semailles et les plantations, les moissons et les foires, prennent un caractère dans l’œuvre de Thomas Hardy, parce qu’aux yeux de ses personnages, ce sont des événements analogues aux tournois pour les chevaliers et aux travaux d’Hercule pour les premiers hommes du monde.

Ni la vérité donc, ni l’humanité, ne manquent à ces paysans. Ils ont de l’humour et aussi de l’émotion, à leur manière. Et pourtant, ils ne sont pas les véritables héros de l’œuvre. Ce n’est pas d’eux que vient ce caractère de grandeur fatidique dont elle est marquée. Le pays dépasse et absorbe les paysans.

C’est lui qui explique et centre l’intérêt. Quand Thomas Hardy s’en écarte, vers la fin de sa carrière, comme dans Jude the Obscure {1896), et The Well-Beloved (1897), il verse dans le didactisme et le feuilleton. Il n’a plus rien pour le soutenir qu’une morne et morte philosophie. Il a lui-même dit : « La poésie du paysan vient du fait que pour vivre il est astreint aux volontés du ciel, de l’air et de la terre. » Dans cette identité de vie entre l’homme et le monde M. Thomas Hardy satisfait la passion d’unité fataliste qui est au fond de son esprit. La bruyère dans The Return of the Native, les arbres dans The Woodlanders, les moutons et la ferme dans Far from the Madding Crowd, gouvernent la vie des personnages avec la force accumulée, irrésistible, de toute l’hérédité, de toute la nature. L’appel des générations passées et de l’éternel plein-air retentit dans ses œuvres jusqu’au cœur de l’Anglais. Une puissante concordance entre tout ce qui est sensible relie inexorablement l’homme aux choses. Telle est la divinité sévère de Thomas Hardy.