Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autrement que Meredith. Il est parfaitement superflu de lui chercher querelle. Il ne serait plus lui-même s’il était plus accessible. Mais ce n’est pas entièrement la faute du public s’il fut longtemps incompris et inconnu. Qu’est-ce donc que ce style ? Encore une fois, il faut pardonner à l’ignorance de l’étranger, même le plus appliqué, le mieux préparé, et lui attribuer la candeur, non la prétention de l’ignorance. Nous avons, au seizième siècle, vu le gongorisme espagnol se muer en euphuisme britannique. Meredith, c’est un John Lyly qui serait un grand poète. Il n’y a pas d’injure. Shakespeare aussi pratiquait l’euphuisme. Mais cette pratique demande un peu d’interprétation. Elle consiste principalement à parler en métaphores, en images, en comparaisons. Meredith est un précieux souvent génial, rarement ridicule, mais quelquefois pourtant, au sentiment d’un lecteur français. Il parle comme le musicien, indirectement, puissamment, parfois indistinctement. Il ne cherche pas à éblouir, à surprendre. C’est sa nature, première ou seconde. Aux mains d’un sot, le style empanaché, scintillant et suggestif de Meredith pourrait devenir un instrument de torture ou un objet de dérision. Au service d’un écrivain comme Meredith, il oblige à un effort, — c’est déjà trop, dira-t-on, — mais apporte des merveilles. C’est un dragage, soit, mais un dragage de grosses perles, et ces gemmes énormes ne contiennent qu’exceptionnellement une petite huître. Mais elle y est parfois. J’en demande pardon aux idolâtres. Il faut ouvrir et regarder. En relisant le passage cité plus haut sur les conversations de Diana et d’Emma, l’on comprendra ce que je veux dire.

À l’ésotérisme du style s’ajoute la complication de la doctrine. Meredith n’est pas seulement un poète et un romancier. Ou plutôt il ne serait pas un grand poète et