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jeunesse, pour arriver aux problèmes sociaux, moraux, historiques, et pour s’y perdre. Ce sont deux évolutions en sens contraire, mais avec des résultats analogues.

Mrs. Humphry Ward a connu le grand succès de bonne heure, et conquis dès ses premières œuvres une immense renommée. Mais son influence littéraire, qui ne fut jamais considérable, est aujourd’hui presque nulle. Des livres entiers se publient en Angleterre sur la littérature contemporaine, où elle n’est même pas nommée[1].

Il est permis de regretter ce décri. Mrs. Humphry Ward a traduit pour des millions de lecteurs les préoccupations de son époque, et décrit longuement, habilement, une partie considérable de la vie et de la société anglaises à la fin du XIXme siècle. Grâce à elle, nous avons, nous autres étrangers, parcouru quelques-unes des régions les plus intéressantes de la pensée, de l’action et de l’existence dans les zones les plus cultivées de l’Angleterre actuelle. Nous ne pouvons que lui être reconnaissants de la haute et saine distraction intellectuelle que sa vie de noble labeur nous a procurée. Mais il serait vain de discuter le jugement et les préférences de nos voisins. Quand on étudie le roman anglais des vingt dernières années, on est bien forcé de constater que l’œuvre de Mrs. Humphry Ward, si elle y tient une place honorable, n’a cependant exercé qu’une influence et une action des plus restreintes.

« La gloire littéraire est nominale, » disait Rémy de Gourmont, « la vie littéraire est personnelle. » L’une est le fruit légitime et infiniment honorable du succès mérité. Mrs. Humphry Ward a, plus que personne dans la pré-

  1. 1 Tels ceux de M. G. K. Chesterton et de M. Cunliffe, professeur à l’Université de Columbia. M. Phelps écrit que « Mrs. Humphry Ward n’a jamais écrit un roman, mais qu’elle a failli en écrire un : David Grieve. »