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toute vie. J’espère et souhaite n’être ni brutal, ni paradoxal, mais il ne me paraît pas possible d’ignorer ce fait considérable. En plein âge victorien, les sœurs Brontë font avouer l’amour, avouer la femme. Et elles tirent l’aveu de leur propre cœur, de leur propre vie. C’est une énorme hardiesse, une formidable nouveauté. Il y a bien autre chose dans l’œuvre des Brontë ; des intrigues sensationnelles, une construction enfantine, du byronisme dans les caractères, et par endroits, dans Jane Eyre, dans Wuthering Heights, un souvenir de Mrs. Radclifie, — dans Villette et dans Shirley l’exemple de Jane Austen, cette vérité qui sort de l’expérience, la criante autobiographie de l’institutrice, l’imagination surhumaine et presque inhumaine d’Emily dans Wuthering Heights, le plus haut romanesque à travers le plus exact réalisme, l’intensité nouvelle et passionnée du ton sans qu’il y ait rien à prouver, rien à enseigner.

Tout cela sans doute serait à noter, et bien d’autres points encore, si nous n’avions affaire qu’aux sœurs Brontë. Mais il s’agit de leur place et de leur influence dans le développement du roman anglais. À cet égard, le fait capital dans un temps où, comme nous l’avons vu, la fiction tendait vers l’essentiel de l’être humain, c’est qu’elles ont inconsciemment, d’autant plus naïvement qu’elles étaient plus ignorantes, exprimé l’essence même de la femme, son aspiration, son incorporation, sa « possession » par l’amour. Elles jouent à cet égard un rôle analogue à George Sand qu’elles connaissaient et admiraient. « C’est », dit Charlotte Brontë, « la poésie comme je la comprends qui élève cette masculine George Sand, qui, de quelque chose de grossier, fait quelque chose de divin. » La formule est significative.

Filles sages, inconsciemment hantées par leur sexe,