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1821. Un presbytère pauvre et désolé, dans la campagne la plus rude, la plus violente du nord de l’Angleterre. Six petits enfants. La mère est morte, le père distrait, lointain. Une hérédité inconnue (boisson, phtisie) couve ces destins d’enfants précoces. Les petits solitaires, quatre fillettes et deux garçons, passent leur vie dans une même pièce, à lire, écrire et se raconter des histoires. Pour tout plaisir ils vont sur l’âpre plateau cueillir la bruyère, en se tenant par la main pour résister au vent. Les quatre aînées sont envoyées (1824) dans une école utilitaire pour filles de pasteurs pauvres, foyer de misère et de tuberculose. Pension complète et habillement pour 350 fr. par an. Les deux aînées, Maria et Élisabeth, meurent en un mois, l’année suivante. Charlotte Brontë décrira tristement, amèrement, cette école dans Jane Eyre, et la petite martyre Helen Burns, c’est sa sœur Maria.

Charlotte, dix ans, Emily, huit ans, rentrent à Haworth. En quatre ans, de 1826 à 1830, les quatre enfants écrivent une petite bibliothèque. Leur père ne fait pas autre chose. Ils n’ont pas d’autre distraction. Ils sont gens de lettres sans le savoir, avec candeur, sans pédanterie. Dans la masse de leurs manuscrits, la part de Charlotte à quinze ans est de vingt-trois cahiers d’entre soixante et cent pages, bourrés d’une écriture microscopique. C’est déjà « une petite vieille », dit une de ses amies, qui vient un peu plus tard à Haworth. Elle a de petites mains, un petit corps, elle est propre et bien tenue, myope comme une taupe, tout éberluée, et ses étranges grands yeux bruns flambent quand elle s’anime. Emily est solitaire, farouche, mal ficelée. Une année de pension, dans une bonne école à Roe Head qui sera le milieu de Shirley. Puis, nouveau séjour au presbytère, diverses places comme