Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au dix-neuvième siècle, les romancières anglaises sont légion, et tous sujets leur appartiennent. Mais la quantité des artistes signifie bien moins que la qualité d’art, et l’étendue du domaine que la façon de la culture. Or la femme a toujours été plus apte que l’homme au jeu infini des relations humaines, qui est devenu le sujet et l’objet du roman anglais. Les rapports, les réactions d’être à être, de caractère à caractère, ce fut en tout temps l’affaire de toute son existence : amour, mariage, maternité, vie de famille et de société. À cet égard, les romancières du dix-neuvième siècle ne font guère que continuer leurs devancières, et nulle ne surpasse Jane Austen. Mais il s’agît au dix-neuvième siècle, comme nous l’avons vu, des valeurs humaines au moins autant que des rapports entre créatures. Or, la pénétration jusqu’à l’être en soi, par le sentiment, par l’instinct et aussi par l’analyse émue, le discernement affectif, spontané, de ce qui est essentiel dans l’individu, l’acuité de sympathie qui fait non seulement rire avec ceux qui rient, mais, avec plus de répercussion, souffrir avec ceux qui souffrent, tout cela, que demandait le dix-neuvième siècle, la femme était, plus que l’homme, capable de l’apporter au roman. Il faut en ce sens entendre la boutade de Meredith : la femme est le dernier des êtres que l’homme civilisera, c’est-à-dire dont il courbera la nature.

L’appel du sexe et de la race retentit plus fort en elle. C’est son affaire et aussi son privilège. Elle a le don créé par la nécessité de discerner et de ressentir plus vivement les affinités comme les contrastes. Elle en a plus spécialement le loisir, le désir, le plaisir. Aussi va-t-elle plus loin dans la discipline, car elle est née disciple, pourvu qu’elle aime, et dans l’indiscipline, car elle est irréductible, sauf par l’amour.