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qui, sauf les domestiques, ne se fourvoie point la vulgarité. Sa psychologie est fine et profonde. Il y a chez lui de vraies femmes. Il observe une retenue instructive devant la douleur, la mort, le mystère de la religion et celui de l’amour. Point de gestes ni de cris dans son émotion. Il atteint au cœur sans y viser, à la vie sans trépidation. À ces divers titres, le contraste est naturel, inévitable, entre les deux plus grands romanciers de la première moitié du dix-neuvième siècle. Mais comblien plus instructif quant au développement du roman paraîtra ce qu’ils ont de commun !

Thackeray, fils d’un officier, élevé dans les écoles publiques et l’Université, héritier d’une fortune confortable, était d’une origine tout autre que Dickens, et n’avait pas subi l’adversité dès sa naissance. Mais il perdit ou gaspilla sa fortune. Sa femme devint folle. Il dut refaire péniblement son chemin par le journalisme. À trente ans, il était à Paris comme correspondant. Ainsi que Dickens (Sketches by Boz), il publie d’abord ses carnets de notes (The Paris Sketch-book, 1840 ; The Irish Sketch-book, 1843), puis des récits d’aventures. The Luck of Barry Lyndon[1] est le dernier des romans picaresques et le premier de ces pastiches plus d’à moitié originaux dont Thackeray devait fournir avec Esmond un modèle d’autre genre.

Il y a bien du talent, déjà, dans Barry Lyndon, un talent d’ordre littéraire, celui de l’homme qui a beaucoup lu, surtout une ironie du genre français qui épouse, sans se trahir autrement que par un imperceptible sourire, le point de vue du gentilhomme aventurier. Quelle différence avec l’humour expansif et bruyant des Pickwick Papers ! M. Abel Hermant a renouvelé cette gravure à la

  1. Publié en 1844 dans Fraser’s Magazine.