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La littérature anglaise au dix-neuvième siècle est, comme toujours, en partie l’expression, en partie la critique du système social, et l’attaque est, comme toujours, plus bruyante, plus active que la défense. Carlyle, Ruskin, Matthew Arnold, Newman mènent des vagues successives d’assaut contre cette société et cette morale. Quant au roman, il l’exprime sans la défendre, dans la mesure où il peint les mœurs et est obligé pour être lu, et même pour être imprimé, d’en accepter sur ce point les règles de réserve, de bienséance, de réticence. Mais c’est dans l’opposition et la révolte sur tous les autres points qu’il se réalise, vit et se développe. Dickens en est le premier témoignage. Pendant cinquante ans, de 1835-1840 à 1885-1890, le roman victorien parcourt au pas de course un champ immense. Le destin hésite jusque vers 1860. Après 1870, la rébellion est générale jusque vers 1890, fin de l’âge de Victoria.

§ ii
Dickens, Thackeray et leurs contemporains

Dickens, fils d’un pauvre commis de Portsmouth, élevé dans les quartiers sordides de Chatham et de Londres, sans éducation, sans autre instruction que celle qu’il se donna, commença la vie comme colleur d’étiquettes sur des pots de cirage, et dut un succès immense et immédiat à la parfaite harmonie entre son génie de conteur et les basses classes moyennes qu’il avait traversées. Celles-ci venaient de conquérir l’aisance économique et l’indépendance politique. Elles avaient des trésors d’énergie, d’intelligence, de sentiment. Elles n’étaient ni cultivées ni mesurées dans leurs goûts. Fraîchement émancipées,