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déjà plus de quarante ans. Il n’avoue pas d’abord son œuvre et reste plus de treize ans anonyme, parce qu’il a le sentiment d’avoir déchu. Mais il la continue, inlassablement, et sans lasser la vogue. En dix-sept années, de 1815 à 1832, il met sur pied un monde énorme de fiction : vingt-neuf ouvrages, dont une vingtaine sont des chefs-d’œuvre. Aucun, sauf St. Ronan’s Well, n’est dépourvu d’un élément d’histoire ou de légende. Les plus grands en sont chargés. Sauf Ivanhoe et Kenilworth, tous traitent de la vieille Écosse. La masse de son œuvre, son prodigieux succès, la richesse alors fabuleuse qu’elle lui rapporte, expliquent cette dignité mondaine dont le roman se trouve désormais revêtu. Pour grandir à la fois le littérateur et son genre, rien ne manque à Walter Scott, ni la misère imméritée où le jette la catastrophe de ses éditeurs et associés, ni l’auréole de courage, de probe grandeur, que lui valent ensuite sept années d’esclavage volontaire et de labeur forcené. Il en meurt en 1832. Ce boiteux avait marché droit et porté le roman plus loin, plus haut que personne.

Pourquoi ? Il lui avait conféré la grandeur de la poésie épique. Il fallait sans doute un poète passionné pour introduire dans ses résurrections — il n’y a pas d’autre mot — cette musique et surtout cette couleur intense qui fut à bon droit signalée par Ruskin. Mais aucune passion, aucune poésie ne garantit la vérité ni l’intensité. Or il voyait le passé parce qu’il l’avait vécu, parce qu’il y vivait chaque jour, et presque chaque heure de son existence. D’où la qualité concrète et « matter of fact » de ses évocations. Il ne perçoit guère, il est vrai, que l’extérieur de ses personnages et de leur époque. Il se contente des idées et des sentiments qui appartiennent à tous les âges. Ses héros sont parfois inconséquents,