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bien bu, bien mangé, bien ri, dissipé plusieurs fortunes, écrit des comédies, plaidé comme avocat. Il écrit son premier roman, Joseph Andrews, pour se moquer de la sentimentalité moralisatrice qu’exsude Pamela. Mais la vérité de la nature se substitue à l’intention de la caricature. Et il finît par ajouter une vérité plus large à celle que Richardson avait déjà conçue. Il a créé tout un monde de caractères, et, dans ce monde, touché la gamme presque entière des sensations et des sentiments. Avec lui, le roman anglais est de plain-pied entré dans l’immortalité par l’universalité.

Peut-être lui manquait-il pour finir de localiser, et, si l’on peut dire, « britanniser » la fiction, cette rudesse courte et drue, enfantine dans sa simplicité, volontiers caricaturale, que développe l’existence sommaire de l’aventurier et du marin.

Smollett, aide de chirurgie à bord d’un vaisseau de guerre, puis médecin colonial, et jusqu’à la fin de sa vie ouvrier de plume inlassable et besogneux, va reprendre jusqu’à Defoe, Lesage, et au roman picaresque la vertu du mouvement, la clarté des contours, la prééminence du récit, la simplicité de la vision. Ces attributs essentiels de la fiction risquaient un peu de disparaître dans l’analyse et le sentiment. Plus tard, Goldsmith corrige le pathétique par une courtoise et latente ironie du pathos. Sterne adoucit par son impressionnisme sentimental et par son imprécision — qui est aussi dans la nature — ce qu’il y avait peut-être d’un peu trop arrêté chez ses devanciers. C’est par cette dégradation nuancée que le roman d’observation et de vie moyenne s’endort et s’efface avant le réveil romantique.

Avant, il y a des récits sans caractères (et parfois sans émotion) comme chez Defoe, ou des caractères sans récit