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frôleur et chérissant, se met un jour à écrire à l’usage des bourgeoises et des cuisinières un guide épistolaire. L’histoire d’une servante séduite s’offre à lui comme thème. Elle commence au hasard et finit n’importe où. Mais il y jette tout ce qu’il a, pendant sa vie, accumulé d’observations intérieures et extérieures sur les personnages de la vie commune. Vêtement, ameublement, nourriture, soin des bébés, direction des domestiques, tout y est pêle-mêle, avec le snobisme de sa classe, de son pays, la facile émotion du sexe agité, la lutte des égoïsmes, et le concert des sentimentalités sous le couvert d’une morale conventionnelle. Telle est l’histoire de Pamela, mais telle aussi, malgré les différences d’objet et de milieu, celle de Clarissa et de Grandison. Il n’y a point de mystère et point de gaîté, peu de grâce et de vraie sympathie humaine dans ces interminables monographies. Mais jamais encore le jeu des motifs et des mobiles n’avait été pareillement étudié. Les caractères et le pathétique se trouvent à titre définitif introduits dans la fiction.

Plus complet peut-être, et plus humain, Fielding apporte en outre la sympathie humaine, et ce don de l’humour qui n’est autre chose que le sens de la vie. Il se soucie moins de la morale et du sentiment. Mais il sait peindre et il sait rire. Il présente le haut et le bas de l’humanité. Son Tom Jones est un résumé de l’existence et des mœurs anglaises au XVIIIme siècle. Il est généreux et sincère dans son exposition des faiblesses comme des grandeurs de notre nature. Avec lui, le soleil de la vie intégrale luit dans le roman. Il a traîné comme Defoe dans les bas quartiers de la littérature et de la société. Comme Defoe, il est esclave de la « copie ». Mais il a fréquenté aussi les tavernes et les beaux esprits. Il a