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§ ii
Richardson, Fielding, Smollett

Quand le roman, encore dans ses langes, s’annonçait avec Defoe, la poésie avait déjà fourni des chefs-d’œuvre insurpassables : le drame de Shakespeare, l’épopée de Milton. Le pamphlet, le journal, grandis depuis un siècle, la satire en prose et en vers, la théologie et la philosophie, héritières de plusieurs générations, manifestaient une puissance d’adultes. Cependant la fiction n’avait encore trouvé ni son organe ni son public. Cantonnée dans le haut et dans le bas de l’échelle sociale, il semblait qu’elle n’eût d’autre sujet que l’amour ou le crime, d’autres personnages que les princes et les fripouilles. Cependant le temps venait où les classes marchandes et les classes bourgeoises, ni canailles ni élégantes, voulaient à leur tour se regarder dans un miroir des mœurs. Instruites par le journal, travaillées par la politique et la religion, profondément émues par le méthodisme, prosaïques et sentimentales à la fois, dégoûtées de la raison pure, défiantes de la pure imagination, mais assoiffées d’émotion, de sympathie, les classes moyennes du XVIIIme siècle attendaient leur interprète. C’est en elles et pour elles qu’est né le roman anglais : Richardson, Fielding et Smollett sont leurs truchements.

Tout à coup, en quinze ans, quinze courtes années, — de 1739 à 1754, — voilà soudain le roman britannique, non seulement établi, mais suprême en influence, créé de toutes pièces, créateur lui-même d’un mouvement européen qui aboutit à Rousseau.

Ce mouvement s’est accompli en deux temps de cinq années, séparés par une période d’égale durée. Premier