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ans qui suivirent pour oser dire que l’inspiration étrangère y est partout flagrante et l’atmosphère artificielle. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’apprécier, mais de constater. Dans certaines œuvres de Greene, on trouve un élément sincère d’autobiographie[1], et l’on voit surgir un instant des bas-fonds la créature de misère et de malheur que Defoe ressuscitera plus tard. Mais, dans l’ensemble, on peut dire que le roman héroïque et pastoral au temps le plus brillant peut-être de la littérature fut l’image, non de la vie anglaise, mais de sa culture, ses aspirations, ses sentiments.

Parallèlement, simultanément se développait en Angleterre le récit picaresque venu d’Espagne. Les guerres incessantes des XVme et XVIme siècles, l’état général de la société, la vulgarisation des armes à feu, avaient couvert les routes d’aventuriers, seigneurs ou mendiants, qui vivaient de bons et mauvais tours. Déjà le coquin in génieux avait alimenté la fiction. Mais Renart est allégorique, Eulenspiegel un lourd farceur, Panurge un philosophe. Le picaro de Lazarillo de Tormes et de Guzman d’Alfarache, type à la fois plus réel et plus actif, séduisit et essaima.

Toutes les époques de grands troubles où l’humanité se trouve lancée, malaxée, pulvérisée sur les chemins de l’univers, laissent après elles une écume en mouvement. Il y a déjà des types picaresques dans notre littérature de guerre et d’après guerre. Il y en aura bien plus dans quelques années. Jack Wilton, le héros de l’Unfortunate Traveller, que Thomas Nash présentait au public anglais en 1594, est l’ancêtre d’une immense famille de criminels et d’aventuriers que Bunyan, Defoe, Fielding, Smollett et Thackeray perpétuèrent jusqu’à nos jours. C’est par eux que le roman du temps d’Elisabeth anticipe le roman

  1. Notamment Never Too Late (1590), et surtout Groatsworth of Wit (1596).