A Lowestoft, il lia connaissance avec des pêcheurs, des caboteurs, apprit l’anglais, étudia la navigation, obtint un certificat de lieutenant, puis de capitaine dans la marine marchande, et fit de nombreux voyages dans les mers tropicales de l’Extrême-Orient. Pendant cette vie solitaire, errante, il écrivait pour son plaisir, sans aucune intention de devenir littérateur, de longues descriptions et des fragments romanesques.
En 1894, il quitte la marine, à la suite d’une fièvre tropicale, et vient à Londres. M. John Galsworthy, qu’il avait une fois rencontré, l’aide de ses avis et de sa sympathie. Son premier livre, Almayer’s Folîy, est accepté, publié, sous le nom abrégé de Joseph Conrad. Le voilà romancier. Il a quarante ans. Stevenson venait de mourir. Il y avait dans la littérature anglaise et notamment dans la fiction d’aventures une belle place à prendre. Joseph Conrad s’y trouva porté plutôt qu’il ne s’en empara. Depuis vingt années il est en Angleterre un des principaux romanciers de la mer. Mais il l’est d’une tout autre façon que ses devanciers. Et il est bien d’autres choses en outre.
Slave de tempérament, Français par éducation, par habitude de penser, Anglais par choix, par habitude de vie, son avènement marque une étape nouvelle du cosmopolitisme dans la littérature contemporaine de l’Angleterre. Les Grecs, puis les Barbares, pénétrèrent Rome pendant qu’elle les conquérait. Aucune grande nation ne peut devenir colonisatrice sans être elle-même colonisée, et tout impérialisme, fût-il simplement économique, a ses rançons intellectuelles. Telle une rivière qui déborde perd la couleur de ses eaux, en prenant celle des limons, des sables ou des paillettes qu’elle arrache à ses bords.