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mourir. Incapable de supporter la solitude et l’abstinence, il se jette un jour à la tête de la première venue, et l’épouse. En vain ses amis le supplièrent d’attendre, de réfléchir. Il a donné lui-même les raisons de sa folie : Qui donc, sauf une misérable, épouserait un miséreux ? Quant à attendre, il eût été tout aussi raisonnable « de s’engager à rejeter une nourriture grossière, parce que, dans quelques années, il pourrait s’offrir des friandises. Il lui fallait des aliments, quels qu’ils fussent. Bref, il ne pouvait plus se passer d’une femme ». Deux enfants naquirent. La mégère devint insupportable. Il fallut divorcer.

À partir de 1892, l’horizon de Gissing s’élargit sans s’égayer. Il se permet avec Denzil Quarrier (1892) une excursion dans le monde de la bourgeoisie, et la psychologie de l’amour. Lilian se libère du mariage infâme que la famille et la loi lui ont imposé. Elle va vivre avec l’homme qu’elle aime. Mais elle ne peut se libérer de l’opprobre encouru, et elle finit par le suicide. Dans Born in Exile (1892), le héros, Godwin Peak, né dans la plèbe, désireux d’y échapper, amoureux d’une femme cultivée, essaie de se persuader qu’il est chrétien et devient prêtre par vocation, non par ambition. Mais sa nature est trop fausse pour convaincre et trop sincère pour tromper. Il ment et il est découvert. Il mourra comme il est né, « en Exil ». Il y a du Gissing dans Godwin Peak, et bien autre chose. Il inspire une pitié un peu méprisante, mais pas d’antipathie. C’est un tour de force que l’analyse de ce caractère, et peut-être le plus grand succès de Gissing. Mais ses peintures de l’amour sentent l’artifice. Il ignorait la femme, craignait la catin, et plaignait, sans les aimer, les intellectuelles pauvres. Ses Odd Women (1893} sont les femmes superflues, celles