— Allons, Adrien, continua-t-il gaiement, es-tu fou, mon ami ? Toi, expulsé de l’École polytechnique pour insubordination la dernière année de ton cours, au moment de passer officier dans le Génie ; toi, obligé de t’engager dans un régiment de Dragons et parvenu à grand’peine au grade de maréchal-des-logis-chef au bout de sept ans de service ; toi, à présent, simple ingénieur d’une compagnie en embryon, tu rêverais batailles, victoires !… Laisse là les affaires politiques, mon ami. Tu as passé la trentaine. Assez de bêtises comme ça. Songe à faire tout doucement ton bonhomme de chemin…
Un instant après, il ajouta, en se frappant sur la poitrine :
— Ça ne fait rien ! On est toujours Français, même en Amérique ; et quand on voit tout ce que nous possédions, tout ce que ces coquins d’Anglais nous ont volé…
Comme il en était là de son monologue, l’apparition d’un canot qui s’engageait dans les Rapides changea le cours de ses idées.
Ce canot d’écorce blanche, orné de figures rouges et bleues, était monté par un Indien.
— Le malheureux ! Mais il va se suicider ! s’écria Adrien, ignorant encore que, d’habitude, les Peaux-Rouges sillonnent dans leurs frêles esquifs, avec la légèreté de l’oiseau, ces abîmes inexorables.
Il venait de pousser cette exclamation, quand le canot, saisi par un courant, fut entraîné dans le Trou-de-l’Enfer,