Le front de l’Indienne se couvrit d’un nuage que Dubreuil remarqua aussitôt,
— Ah ! dit-il, avec une inflexion sarcastique, j’oubliais que vous l’aimiez aussi, lui !
— Jésus ! murmura-t-elle d’une voix rêveuse, oui, je l’ai aimé… bien aimé !
— Et vous l’aimez encore ! siffla l’ingénieur entre ses dents serrées, en croisant convulsivement les mains au-dessus de sa tête.
— Mon frère, dit avec une exaspérante tranquillité Meneh-Ouiakon, l’esprit de feu court toujours dans ton sang. Il faut l’arrêter, sans quoi Kitchi-Manitou s’emparerait encore de toi, et je ne pourrais remplir la promesse que j’ai faite au totem de mon frère.
— Expliquez-vous, fut-il répondu sèchement.
— J’ai rêvé, dit-elle, la nuit dernière, que je te rendais la liberté. Il faut que mon rêve s’accomplisse[1].
Dubreuil fit un mouvement d’incrédulité et de dédain.
- ↑ Dans la première série des Drames de l’Amérique du Nord, j’ai
déjà eu occasion de montrer combien les sauvages sont superstitieux,
surtout à l’endroit de leurs songes. La plupart des voyageurs
ont été, comme moi, frappés de cette aberration qui ne compte
encore, quoi que nous en ayons, que trop de fidèles dans les sociétés
civilisées. Mais si la plupart des Indiens apportent souvent une
grande bonne foi dans l’explication des rêves, il en est qui savent
très-bien les utiliser au profit de leurs passions. En voici un
exemple cité par un missionnaire.
« Un sauvage ayant rêvé que le bonheur de sa vie était attaché à la possession d’une femme mariée à l’un des plus considérables