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LES VOYAGEUSES AU XIXe SIÈCLE

attiré par la triple statue peinte de Bouddha, symbolisant le passé, le présent et l’avenir.

Quand Mme Pfeiffer visita le temple, on y célébrait les funérailles de la femme d’un mandarin. Le veuf lui-même était prosterné devant l’autel, ayant à ses côtés deux porteurs d’éventails ; il baisait fréquemment la terre, et chaque fois on lui mettait dans les mains de minces bougies de cire parfumée, qu’il élevait en l’air et remettait ensuite aux prêtres pour les éteindre et les placer devant les idoles. Le temple résonnait du bruit des instruments de trois musiciens, dont l’un frappait sur une boule de métal, l’autre pinçait une sorte de guitare, et le dernier tirait d’une flûte des sons perçants.

Le temple principal est entouré de nombreux sanctuaires plus petits, décorés d’idoles grossièrement taillées, mais éclatantes d’or et de vives couleurs ; ces dernières ont quatre, six et même huit bras. Les visiteurs furent aussi conduits à la demeure des pourceaux sacrés : il n’y en avait alors qu’un seul couple, logé dans une vaste salle dont l’atmosphère n’avait cependant rien d’agréable. Durant le cours de leur paisible existence, ces pourceaux sont soignés avec respect, abondamment nourris, et jamais le couteau du boucher ne vient trancher le fil de leurs jours.

De la Chine Mme Pfeiffer fit voile vers l’Hindoustan, donnant au passage un coup d’œil à Singapour, établissement britannique qui est le rendez-vous des commerçants de l’Asie méridionale. Le pays environnant est d’un aspect riche et agréable, et l’île entière est extraordinairement fertile. Le voyageur trouve fort agréable de s’y promener dans les plantations de girofle et de muscade, en respirant un air chargé d’un parfum tout particulier, qui est la condensation de mille odeurs délicieuses. Les plantations de poivre sont aussi une des curiosités de l’île, qui en outre est un splendide verger ; on y obtient des mangoustes exquises, des ananas de quatre livres, des saucroys aussi gros que l’ananas, verts à l’extérieur, blancs ou jaune pâle au dedans, et ayant le goût et le parfum de la fraise. De Singapour à Pointe-de-Galles, dans l’île de Ceylan, la traversée fut de dix jours. L’aspect ravissant de cette île excita l’admiration de Mme Pfeiffer, comme elle excite celle de tous les voyageurs. « Je n’ai rien vu de plus magnifique, écrit-elle, que cette île s’élevant graduellement de la mer, et nous montrant d’abord ses hautes montagnes dont les sommets éclairés par le soleil se détachaient sur le ciel, tandis que les épais bois de cocotiers, les collines et les plaines restaient ensevelis